Trop c'est trop : l'injonction à l'effort épuise les ados atypiques
Dans la société actuelle, la notion d'effort est élevée au rang de vertu, nécessaire pour réussir. Dès leur entrée à la maternelle, on dit aux enfants qu'ils doivent « bien travailler en classe
», que « tout s'obtient grâce à un travail acharné », que « la persévérance paye toujours », que « rien ne s'obtient sans efforts », et le fameux « si tu veux, tu peux », etc.,
etc.
Or, que se passe-t-il quand le « fais un effort » devient une injonction permanente chez l'ado atypique qui, pour s'adapter à son environnement, doit déjà fournir bien plus d'énergie
que les autres ?
L'invisible fardeau de l'ado atypique
Imaginez un adolescent passant des heures à organiser avec soin ses notes afin de compenser un trouble de l'attention, ou déployer une énergie considérable pour décrypter des codes sociaux
qui lui échappent le plus souvent. Ces efforts, souvent silencieux et invisibles aux yeux des autres, sont le quotidien de nombreux ados atypiques. Pourtant, ce manque de reconnaissance de leurs
luttes internes et de leur implication constante peut, insidieusement, à bas bruit, les conduire vers un épuisement intense et profond.
C'est ce lien complexe entre l'effort invisible, non reconnu, chez l'ado atypique et l'épuisement qui en résulte que nous vous proposons de vous expliquer. Quels sont les mécanismes qui sont
jeu et comment briser ce cercle vicieux ?
L'injustice de la suradaptation
Les ados atypiques (TSA, HPI, Troubles Dys, TDAH, hypersensibles…) passent leurs journées à s'adapter à un environnement qui n'est pas conçu pour eux. Ils doivent cacher, masquer leurs difficultés (masking), contrôler leurs réactions, gérer les stimuli envahissants, et, la plupart du temps, faire d'énormes efforts juste pour survivre dans un monde qui ne tient pas ou peu compte de leurs besoins.
Ce qui unit ces profils « différents », c'est souvent une manière différente de penser, d'apprendre et d'interagir avec le Monde. De ce fait, ils déploient fréquemment des efforts considérables, malheureusement pas immédiatement perceptibles.
Là où un ado neurotypique doit mobiliser 100 % de ses capacités pour atteindre la réussite scolaire ou sociale, l'ado atypique doit monter le curseur jusqu'à 200 %, voire 300 %, simplement pour tenter de se conformer aux attentes et aux normes sociales, pour paraître simplement normal.
AInisi, un jeune avec un TDAH doit faire des efforts considérables pour rester concentré, une lutte interne que ses camarades n'imaginent pas.
Pourtant, malgré cet investissement considérable et leur persévérance exemplaire, leurs efforts sont rarement reconnus à leur juste valeur. Ils sont trop fréquemment jugés à l'aune d'un modèle
standard, d'une grille d'évaluation uniforme qui ne tient pas compte de leurs spécificités neurologiques et de leurs modes de fonctionnement uniques.
Le danger de l'injonction à l'effort
Lorsque ces efforts constants et coûteux en énergie ne sont pas reconnus ou acceptés, les conséquences sur le bien-être de l'adolescent peuvent être dévastatrices.
On leur répète :
- « Fais un effort ! » , alors qu'ils en font déjà dix fois plus que les autres
- « Si tu veux y arriver, il faut te donner les moyens », alors que leurs moyens sont déjà épuisés avant même d'avoir commencé
- « Dans la vie, rien ne vient sans effort », alors que, pour eux, la vie est déjà un bataille quotidienne
Ces messages perpétuent l'idée que la souffrance est normale et, s'ils n'y arrivent pas, c'est qu'ils « font mal » ou qu'ils n'en font « pas suffisamment ».
Cela entraîne chez eux :
- Une culpabilisation excessive
- Un sentiment d'échec permanent
- Un risque de burnout important
- L'effondrement de leur estime de soi et de leur motivation
- Une grande auto-dévalorisation
- Le développement d'un syndrome de l'imposteur
La pression constante de devoir surcompenser, de masquer ses difficultés et de faire semblant d'être et de faire « comme tout le monde » génère du stress et de l'anxiété importants. À
terme, cette accumulation de tensions conduit à un épuisement tel que, pour l'entourage, c'est inconcevable. Cela se manifeste souvent par un burnout scolaire, une perte d'intérêt pour
ce qui est hors de ses goûts personnels, voire une dépression (attention à ne pas confondre ! cf. article sur la différence entre burnout de l'ado atypique et la
dépression).
Il est donc très important d'identifier les signaux d'alarme, tels que l'irritabilité, les troubles du sommeil, le repli sur soi. il est également essentiel d'accepter les paroles de l'ado, de croire à ce qu'il exprime de sa fatigue.
Changeons notre regard sur la valeur de l'effort
Il est temps de sortir du modèle de la réussite conditionnée à la souffrance. Un ado atypique (c'est aussi valable pour les neurotypiques) qui apprend à respecter son rythme, à
optimiser son niveau d'énergie et à s'épanouir dans son fonctionnement particulier n'est pas un ado « qui abandonne », mais un ado qui construit un avenir viable et équilibré.
L'effort pour l'effort n'a pas de sens. Ce qui compte, c'est que chaque ado puisse avancer selon sa propre norme, sans s'épuiser à correspondre à un idéal imposé, à y mettre le sens qui est
le sien.
"Le travail n'est pas une vertu, c'est pour ça qu'il doit avoir du sens". André Compte-Sponville
Les ados atypiques sont de véritables ninjas de l'effort, mais personne ou presque ne le voit. Ils passent leur vie à cacher leur inconfort, à analyser les codes sociaux, à gérer
un monde sensoriellement agressif, à lutter contre leur propre cerveau, si différent. Et pourtant , on leur en demande toujours plus !
À force de leur demander de
faire des efforts permanents, ils pensent qu'ils sont défaillants, alors qu'ils fonctionnent en mode « survie ».
La société valorise seulement la performance académique, le dépassement de soi dans le sport, le travail qui qui donne des résultats concrets, quantifiables, catégorisables.
L'effort qu'on ne décèle pas, quand allons-nous en tenir compte ? L'effort de tenir une conversation sans s'effondrer, de supporter le bruit d'une classe, les
lumières, la pollution visuelle des affichages, de rester assis toute une journée alors que leur corps hurle : «Je veux bouger ! », etc.
L'enjeu n'est donc pas de les « encourager à faire plus d'efforts », mais de leur apprendre à prendre soin d'eux et aux adultes à écouter et respecter ce qu'ils sont.
Et concrètement, on fait quoi ?
Redonner le pouvoir et la responsabilité à chacun : c'est la solution pour sortir de ce cercle vicieux. Chacun aura sa part à effectuer pour que les ados vivent le mieux possible leur différence .
Côté ados : se protéger, s'écouter, se connaître
- Identifier ses signaux d'alerte : apprendre à repérer les premiers signes de surcharge (fatigue extrême, irritabilité, hypersensibilité sensorielle accrue, troubles du sommeil, troubles de la digestion, envie de repli sur soi…)
-
S'autoriser à ralentir
Savoir repérer quand ils sont en suradaptation : « Là, j'ai le droit de souffler, je sens ma fatigue… ». Sortir du mythe « Si je m'arrête, je suis paresseux et défaillant » -
Verbaliser ses besoins spécifiques
« J'ai besoin de silence après les cours », « Je ne peux pa enchaîner les devoirs sans faire de pause », « Je ne peux pas faire face aux interactions sociales aujourd'hui » -
Prendre soin de son énergie comme d'un capital à préserver
Imaginer que son énergie atteint la limite de sa jauge. Se demander régulièrement : « Est-ce que je m'épuise à faire semblant ? », « Je fais ça pour moi ou pour être conforme à ce que veulent les autres ? » -
Pratiquer l'auto-empathie
Ne plus s'infliger des jugements tels que « Je suis nul, je n'y arriverai jamais », mais faire de son mieux dans un système inadapté, sans auto-flagellation -
Choisir ses combats
Tout ne mérite pas qu'on y mette 100 % de son énergie. Apprendre à prioriser est essentiel : « Qu'est-ce qui est vraiment important pour moi ? » -
Demander de l'aide sans culpabiliser
Ce n'est pas un échec, c'est de la maturité. Un adulte de confiance, un professeur, un professionnel de santé, un professionnel de l'accompagnement : avec un allié spécialisé, c'est tellement plus facile ! -
Exprimer la fatigue qu'entraînent les imprévus
La fatigue engendrée par les imprévus n'est pas une plainte surjouée, mais le signal d'une surcharge cognitive et émotionnelle. La réorganisation interne en quelques secondes ou minutes, leur est impossible sans solliciter une grande énergie qui les épuise. -
Explorer d'autres environnements, plus respectueux
Exemples : école à distance, pédagogies alternatives, associations ou groupes d''écoute d'ados atypiques, espace calme au lycée, pour trouver le lieu où se ressourcer, seul ou accompagné, un endroit où l'ado pourra être lui-même, sans pression.
Côté adultes/parents : décoder, ajuster, soutenir sans sur-responsabiliser
-
Valider les efforts invisibles
Exprimer qu'on conçoit que ce soit difficile pour eux. Leur dire par exemple : « Je sais que le fait de venir jusqu'ici t'as demandé beaucoup d'effort et d'énergie. Et ça, je le vois » -
Bannir les phrases culpabilisantes
❌« Fais un effort », « Tout le monde le fait , alors toi aussi », « Allez, essaie encore »
✅« Qu'est-ce qui est trop dur pour toi, là ? », « Comment puis-je t'aider pour y arriver sans t'épuiser ? » -
Accepter que l'ado ait un fonctionnement différent
Ne pas chercher à le « corriger », mais à le COMPRENDRE. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, ils ne font pas exprès. On parle d'un mode de fonctionnement neurologique différent. -
L'aider à identifier ses limites (sans faire à sa place)
Lui dire par exemple : « Hier, tu avais vraiment l'air vidé, épuisé. Tu crois que tu as dépassé tes limites sans t'en rendre compte ? Saurais-tu identifier quand tu les as franchies ?» -
Instaurer des moments réguliers de décompression
Ces moments peuvent être prévus pour parler, ou simplement pour pouvoir souffler, se déconnecter du monde extérieur -
Alléger la pression scolaire et sociale
Arrêter d'exiger des notes spectaculaires : accepter un 6/10 au lieu de viser le 10/10. Valoriser les progrès internes, pas seulement les résultats visibles -
Construire ensemble des stratégies de préservation
Le questionner : « Qu'est-ce qui t'aide vraiment à recharger tes batteries ? », « On réfléchit ensemble à comment rendre ta journée plus facile à vivre ? » -
Chercher le bon professionnel qui comprend vraiment les atypies
Ne pas hésiter à changer de professionnel si « le courant ne passe pas ». rechercher le bon professionnel de santé, le bon professionnel de l'accompagnement, le bon pair-aidant, toute personne en capacité de comprendre et d'aider votre ado, au top des dernières avancées sur le sujet
En conclusion
Quand l'injonction à l'effort devient omniprésente dans la vie des ados atypiques, ils s'épuisent (souvent jusqu'au burnout et l'effonfrement) à tenter de fonctionner « comme les autres ». Cette suradaptation, courageuse et persévérante, passe inaperçue et fragilise profonde leur estime de soi.
Il est urgent de reconnaître cces efforts silencieux, d'ajuster nos attentes et de leur offrir un cadre où ils n'ont plus à se battre pour exister. Moins d'efforts pour être « normaux », plus de place pour être pleinement eux-mêmes.
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