«Il ne fait pas de vagues » ou le prix du silence des ados atypiques

Un ado atypique qui souffre en silence ? Le coût du validisme

« Il s'en sort, il ne fait pas de vagues, donc il n'a pas besoin d'aide ».
Cette phrase, en apparence anodine, est fondamentalement violente.

Souvent prononcée dans des contextes médicaux, scolaires ou institutionnels, cette phrase semble rassurante. Elle donne à penser que tout va bien, du moins suffisamment bien pour ne pas avoir à s'inquiéter pour l'ado. 
C'est pourtant une forme de violence symbolique, une violence feutrée, mais redoutable, qui rend invisisible la souffrance des personnes atypiques et renforce des normes validistes.
Cette fausse évidence, essayons de la déconstruire et de mettre en lumière le coût humain démesuré de cette adaptation imposée.

 

Le validisme : de quoi parle-t-on ?

Le validisme (ou capacitisme), selon le Dico en ligne Le Robert, est « un système faisant des personnes valides la norma sociale. Per extension, on le définit comme la discrimination envers les personnnes en situation de handicap. » 

 

Le validisme représente aussi la croyance des personnes valides que leur absence de handicap et leur bonne santé leur offrent une position plus favorable, voire supérieure, à celles des personnes handicapées.

 

« Il s'en sort » : un concentré de validisme

« Il s'en sort » : sens caché derrière cette phrase.
Dire qu'un enfant ou un ado « s'en sort », c'est faire une lecture externe et superficielle de son comportement. Parce qu'il a des notes correctes, ne perturbe pas la classe, semble autonome, il serait donc à l'abri.
Cependant, cette apparente maîtrise masque souvent une hyperdapatation.
Ces jeunes fournissent des efforts considérables pour paraître « fonctionnels », au prix d'une fatigue immense, de l'auto-effacement ou d'une tension constante.

 

« Il ne fait pas de vagues » : un camouflage valorisé.

Cette expression, trop souvent entendue, glorifie le conformisme et la discrétion. L'enfant ou l'ado qui ne dérange pas est perçu comme facile à vivre, bien adapté.
Pourtant, cette absence de trouble visible est souvent le fruit d'un camouflage, d'un masquage des difficultés réelles. Or, cette capacité à «jouer le jeu » n'est pas un signe de bien-être : c'est une stratégie de survie.
Le message reçu est clair : « Tant que tu ne perturbes pas, tu ne ne seras pas pris en charge. »

 

« Donc, il n'a pas besoin d'aide » : une conclusion erronée et néfaste.

C'est là que se trouve le cœur du problème. L'absence de plainte visible, de comportement violent ou extrême, de symptômes bruyants… est interprétée comme un indicateur de bonne santé mentale.
Ce raisonnement nie la réalité interne, subjective, la complexité des émotions ressenties et la capacité d'auto-censure des jeunes. 
En somme, cela revient à dire : « Ce qui ne se voit pas n'existe pas. Et ce qui n'existe ne mérite pas notre attention. »

 

Le coût de l'invisibilité : quand le calme cache la tempête

L'hyperadaptation : prouesse ou souffrance ?
Beaucoup de jeunes atypiques développent très jeunes une forme d'hypervigilance sociale.
Ils analysent, anticipent, corrigent leurs moindres faits et gestes pour correspondre aux attentes muettes de leur entourage. 
Cette recherche de  perfectionnisme dans l'adaptation est souvent perçue comme une qualité, alors qu'il faut y voir un signal d'alarme.
Les ados puisent profondément dans leurs ressources internes de façon chronique, entraînant une fatigue émotionnelle majeure.

 

Des conséquences silenceuses, mais profondes.
Ces jeunes qui « tiennent » finissent souvent par s'effondrer plus tard. Crises d'anxiété, dépression, burnout, phobie scolaire, troubles somatiques… : le prix à payer se manifeste souvent avec un décalage dans le temps

La pression s’accumule jusqu’à ce qu’elle déborde, généralement lors d'une situation particulière ; les personnes sont  alors surprises : « On ne se doutait de rien. »

Cette déconnexion entre la souffrance et ce qui est perçu par les autres est d'une violence insidieuse.

 

Une solitude émotionnelle profonde.

Quand un jeune comprend que ses difficultés sont niées parce qu'il sait trop bien les cacher, il s'habitue à ne plus rien dire, à ne plus rien exprimer de ce qu'il ressent ou vit. Il s'enferme dans cette idée que c'est tout seul qu'il doit faire face. 
Ce silence intériorisé est souvent confondu avec de la résilience, alors qu'il relève plus de l'abandon, de la résignation.
Cela participe à une perte de l'estime de soi et une forme de dissociation entre ce que le jeune vit et ce qu'il ose dire.

 

Validisme et injonction à se fondre dans la normalité

Le validisme : une norme qui exclut l'invisible

Le validisme repose sur l'idée que ce qui est normal est visible, actif, conforme et autonome.
Tout ce qui s'en écarte est perçu comme déviant, voire suspect.
Dans cette logique, une personne qui fonctionne sans émettre aucun signe extérieur de souffrance est considérée comme allant bien.
C'est une lecture validiste du monde, qui n'accorde aucune place à la diversité des manières d'exister.
Cette lecture rend impossible d'exprimer ce que l'on ressent, ce qui engendre la souffrance mentale.

 

Quand l'adaptation devient une exigence implicite.
La pression à la normalité pèse dès l'enfance. On valorise les enfants « faciles », discrets, capables de se conformer sans qu'on ait à intervenir.

Ceux qui y parviennent sont félicités pour leur maturité alors qu'ils renoncent souvent à exprimer leurs besoins.
Cette exigence implicite d'auto-effacement est une forme de violence physique

 

Le regard social, entre confort et déni.

Il est plus simple pour les adultes de croire qu'un jeune qui ne se plaint pas va bien. Cette croyance les décharge de leur responsabilité d'attention et d'accompagnement

Or, ce confort pédagogique ou médical repose sur un déni : celui de la complexité psychique et du droit d'être aidé, même quand les symptômes ne sont pas « spectaculaires », « remarquables ».

 

Changer de regard : agir avant la crise pour prévenir la souffrance des discrets

Ne pas attendre la crise pour intervenir.

L'une des plus grandes erreurs que l'on puisse commettre, c'est d'attendre l'effondrement du jeune pour enfin l'écouter et l'accompagner.
Allez-y : c'est le moment de regarder votre ado pour y déceler les signes les plus subtils : la fatigue chronique, le retrait social, le perfectionnisme anxieux, l'hypercontrôle, l'incapacité de se détendre ou de ressentir du plaisir dans le quotidien.

Ces indices silencieux doivent être pris au sérieux avant qu'ils ne se transforment en situations urgentes et handicapantes.

 

Valoriser l'expression plutôt que la performance.

Encourager les jeunes à parler de leurs émotions, sans qu'ils aient à justifier ou prouver leur mal-être, est une des clés pour désamorcer cette progression de l'invisibilité.

Créer des moments privilégiés où la parole est accueillie, même quand elle remet en question les apparences ou les systèmes (familiaux, scolaires, environnementaux…), est fondamental.

 

Former les professionnels à déceler l'invisible.

Les enseignants, les soignants, les éducateurs… devraient être mieux sensibilisés à ces souffrances qui se manifestent à bas bruit.
Cela passe non seulement par une formation au repérage des signes discrets, mais aussi par une posture d'écoute active et pleine d'humilité face à ce qui ne se voit pas.  
C'est par une remise en question des critères classiques qui servent à juger du bien-être ou de la réussite d'un enfant que la santé mentale des jeunes pourra favorablement évoluer.

 

Pour conclure

Dire d'une jeune qu'il « s'en sort » parce qu'il « ne fait pas  de vagues » revient à juger le mal-être à l'aune du désordre qu'il provoque. 
C'est passer à côté de l'essentiel : la souffrance silencieuse, celle que l'on enfouit pour éviter les remous.
Ce validisme ordinaire, enraciné dans  les pratiques et les représentations, a un coût immense pour les jeunes et leur santé mentale. 

 

Il est temps de cesser de confondre conformité et santé mentale.
Il est temps de reconnaître, enfin, que le vrai courage ne réside pas toujours dans la résilience muette, mais parfois dans la demande d'aide que l'on n'ose plus formuler.

 

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